• Présidence de M. TULPAIN , conseiller à Cour d’appel de Nancy.

    ROLE DES AFFAIRES

     Lundi 4 mai 1885. — Macaine, Adélaide-Piascaline femme Trocmé, de Sedan : vols qualifiés. — Ministère public, M. Pécheur, substitut; défen seur. Me Daumal, avocat.

    Même jour. — Marmottin, Gustave, d’Exermont : incendie. — Ministère public, M. Pécheur, substitut; défenseur, Me Bouchez-Leheutre, avocat.

    Mardi 5 mai. — Charles, Victoire-Joseph,veuve Rennesson, de Torcy : vols qualifiés. — Ministère public, M. Pécheur, substitut; défenseur, luMe Luxer, avocat,

    Même jour. — Badré, Simon-Auguste, de Joigny : bigamie. — Ministère publie, M. Robert, procureur ; défenseur, Me Rembourg, avocat

    Mercredi 6 mai. — Daubré, Henri-Joseph, sans domicile : vol qualifié. — Ministère public, M. Pécheur, substitut ; défenseur, Me Bougon, avocat.

    Même jour. — Dorigny, Antoine-Auguste, de Saint-Menges : tentative d’assassinat. — Ministère public, M. Robert, procureur; défenseur, Me Riche, avocat.

    Par contumace, — Stefanazzi, Marcello-Vincenzo, de Marcq : meurtre et tentative de meurtre.

    Liste des jurés . —  Jurés titulaires : MM.
    Ploutz, J .-N . marchand de vin à Grandpré.
    Thiébault, J.-M. propriétaire à Mainbressy.
    Bosserelle, N .-N . cultivateur a Draize.
    Martinet J.-B.-A. rentier à Mézières.
    Charmotue, A . cultivateur à Lacroix-aux-Bois.
    Billard-Jolly, adjoint à Launois.
    Bouché, A. capitaine en retraite, à Monthermé.
    Sorlet, J.-B. propriétaire et maire à Blanzy.
    Bajot, J .-L. cultivateur a Mondigny.
    Gillet, J.-F.-M . marchand de hois à Elan.
    Havet, N., cultivateur à Launois.
    Corda, N.-J. C., cultivateur à Olizy,
    Dubois, J., négociant à Balan,
    Carlier, C.-L. capitaine en retraite a Matton.
    Lejeune, H .-A ., boulanger à Autrecourt.
    Renaud, P .-N . filateur à Matton.
    Beck, E.-T, fabricant de couleurs à Raillicourt.
    Alexandre, E,, brasseur à Thilay.
    Fourille, L.-X. cultivateur à la Besace.
    Fouroart, J., notaire à Sedan.
    Martinet, J.-N., cultivateur à Yoncq.
    Gautier, J -B, retraité de douanes à Gué-d’Hossus,
    Fichant, L. H., rentier à Charleville.
    Milhac, J , receveur des domaines à Fumay.
    Bernardy, F.-J., maître fondeur à Mézières.
    Quenet, N .-K.-A., propriétaire à St-Clément.
    Beaufils, J.-F.-F., cultivateur et maire à Terron-sur-Aisne.
    Pilard, L.-M ., clerc de notaire à Dom le Mesnil.
    Bellotte, M., propriétafre à Tannay.
    Guilmin, D., brasseur à Vireux-Molhain.
    De Wacquant, P.-J.-T., propriétaire â Raucourt.
    Baudart, F.-P., rentier â Attigny.
    Laval, J., marchand de ferronnerie à Levrezy.
    Marquadet, M., fabt de ferronnerie à Château-Regnault.
    Forest, Ch,-L., notaire à Charleville.
    Autier, J. B., boulanger à Braux.

    Jurés supplémentaires : MM
    Dogny, H.-A., pharmacien à Mézières.
    Bonhomme, P.-I., coupeur à Mézières.
    Bonnet, M.-J.-G,, docteur-médecin à Mézières.
    Midoux, A,-G., chaudronnier à Mézières.

     

    La troisième session des assisses pour l’année 1885 s'ouvrira le lundi 17 août, à Mézières. Elle sera, présidée par M .Ponton, con-seiller à la cour d’appel de Nancy, chevalier de la Légion d’honneur. MM. Garnier et Lévy, juges au tribunal de première instance de Charleville, sont désignés pour l’assister.



    Audience du 4 mai 1885


    Affaire MACAINE (Adélaïde Paschaline), femme Trocmé, de Sedan. — Vols qualifiés. — Ministère public, M. Pêcheur, substitut. — Défenseur, Me Daumal, avocat.
    Comme ou l’a vu, d’après le rôle, cette session ne comprend que six affaires relativement peu intéressantes et qui, sauf peut-être celle du bigame de Joigny, ne sont pas destinées à satisfaire les amateurs de vives émotions.

    L’accusée

    La femme Trocmé est originaire du département de l’Aisne : elle est âgée de quarante-huit ans. C’est une solide gaillarde, fort brune
    et d’une physionomie assez agréable.
    Sa mise est très correcte : elle porte un vêtement et un chapeau absolument noirs et répond à son interrogatoire d une voix fort calme.
    Tout en niant les habitudes d' ivrognerie que lui impute l’accusation, elle avoue une partie des vos qui lui sont reprochés.

    L ’accusation

    Le 4 octobre 1884, l’accusée entrait au service de M. Vignon, agent d’assurances, veuf et père de plusieurs enfants eu bas-âge.
    Retenu journellement hors de son domicile, pour ses occupations, il devait laisser à la disposition de sa domestique les clefs et les objets du ménage.
    Celle-ci en profita pour s’emparer d’effets mobiliers de toute nature qu’elle vendait pour satisfaire son goût prononcé pour la boisson.
    Dans le courant du mois de février, M. Vignon, s’aperçut pour la première fois de la disparition de divers objets mobiliers. Il interrogea l’accusée qui répondit évasivement, alors il visita les armoires qu’il trouva presqu’entièrement vides. Certain que la femme Trocmé avait pu seule commettre ces soustractions, il l’interrogea de nouveau et obtint des aveux à peu près complets. La femme Trocmé n’a pas d’antécédents judiciaires, mais se livre sans retenue à la boisson. Elle a déjà été mise à la porte de plusieurs maisons où elle volait du vin et de l’eau-de-vie pour satisfaire sa passion. Pour le même motif elle avait été contrainte de quitter le domicile conjugal, où son mari ne voulait plus la recevoir.

    Incidents

    Au début de l’audience deux incidents apportent un certain retard aux débats.
    M. le président constate d’abord que toutes les pièces à conviction ne sont pas dans la salle. On s'empresse d’aller chercher un second paquet renfermant comme le premier des draps de lits, du linge et des effets.
    Aussitôt commence l’interrogatoire de la prévenue, mais les jurés, placés au premier banc, l’interrompent bientôt en faisant remarquer que leur siège va s’effondrer sous eux. Force est de leur donner des chaises et l’interrogatoire peut reprendre son cours.
    Disons seulement que l’accusée persiste dans son système de dénégation partielle.

    Les témoins

    Les témoins, au nombre de trois, sont M. Vignon, victime des trois et les deux revendeuses à qui la femme Trocmé, allait, sous le faux nom de Docquin, vendre le produit de ses larcins, sous prétexte qu’elle était dans la misère et obligée de soigner son mari malade. Leurs dépositions n’apportent rien de nouveau aux débats.

    Les plaidoiries et le verdict

    Le ministère public réclame une condamnation tout en accordant les circonstances atténuantes, puisque l’accusée n’a pas d’antécédents judiciaires et est reconnue comme une bonne travailleuse.
    Me Daumal, se basant sur ces deux points, demande l’acquittement pur et simple de sa cliente.
    Après une grande demi-heure de délibération, le jury rapporte un verdict que, vu son irrégularité, M. le président est obligé de faire recommencer.
    La femme Trocmé est reconnue coupable des faits qui lui sont imputés avec circonstances atténuantes.
    En conséquence, la Cour la condamne à 15 mois d’emprisonnement.

     

    Affaire MARMOTTIN (Gustave), à Exermont; lncendie. — Ministère public, M. PÉCHEUR, substitut ; défenseur,Me BOUCHER-LEHEUTRE, avocat.

    L’accusé

    Gustave Marmottin est âgé de vingt ans ; il est né à Apremont. De taille moyenne, il a un physique en dessous et les cheveux coupés courts. Il est vêtu d’un paletot en velours à côtes brun et d’un pantalon jaune. Il ne parait nullement ému et précise parfaitement les détails qui ont accompagné son crime.
    Pendant l’audition des témoins il ne cesse de baisser la tête d’une façon hypocrite.

    Les faits

    Voici, d'après l’acte d’accusation, les faits reprochés à l'accusé.
    Congédié le 6 avril dernier de chez M. Chaillé, cultivateur à la ferme de Beauregard, territoire d’Exermont, où il servait comme domestique, Marmottin s'est engagé dans une propriété voisine et a résolu de tirer vengeance de son ancien maître.
    Le 12 , il se rendit en compagnie d'un de ses camarades à la ferme de Beauregard et, resté seul vers 7 h. du soir, au moment où M. Chaillé et ses domestiques étaient à table, il se dirigea vers le grenier, poussa le volet d’une ouverture qui y donnait accès et y lança une allumette enflammée. Le feu se communiqua rapidement et détruisit tout, sauf la maison d’habitation qui, grâce aux prompts secours, ne fut que fortement endommagée. Les pertes s’élèvent à environ 15,000 fr.
    Les soupçons se portèrent de suite sur Marmottin, qui, après avoir nié, a déclaré qu’il avait mis le feu à la ferme pour se venger des mauvais traitements que les époux Chaillé lui avaient fait subir, imputations reconnues mensongères.

    L'Interrogatoire

    L’accusé reconnaît qu’il a servi dans de nombreuses maisons d’où il était renvoyé pour paresse et mauvaise conduite. Son service était détestable, il disait du mal de tout le monde.
    Il avoue avoir été vu dans l’écurie au moment de l’incendie, par le domestique de M. Chaillé, et avoir mis le feu quelques instants après.
    Il est seulement eu désaccord avec les témoins sur quelques détails de peu d’importance, et prétend avoir, avec tout le monde, apporté tous ses secours pour éteindre l’incendie qu’il avait allumé.
    Bien que n’ayant pas d’antécédents judiciaires, l’accusé possède un caractère violent et vindicatif, il avait, en outre, été antérieurement soupçonné de deux incendies importants qui s’étaient produits dans les communes d’Exermont et d’Ivoiry. Marmottin, on le comprend, nie complètement en avoir été l’auteur.

    Audition des témoins.

    M. Chaillé, cultivateur, sinistré, et Mme Chaillé, donnent les détails que l’on connaît sur la conduite de l’accusé et sur le sinistre. Ils pensent subir, malgré l’assurance et outre les ennuis qui en sont résultés pour eux, une perte sèche de 7 à 8,000 francs.
    Le brigadier de gendarmerie qui le premier a interrogé Marmottin aussitôt son arrestation, et lui a arraché les aveux, répète la déclaration que l'accusé lui a faite.
    Les cinq dépositions suivantes, en présence des aveux de l’inculpé, n’ont aucun intérêt.
    M. Gilbin, subrogé tuteur de l’accusé. Il résulte de cette déposition que le témoin soupçonne fort que Marmottin serait l’auteur des incendies des fermes de Sérieux et Ivoiry.
    Le docteur Rousseaux, chargé d’examiner l’accusé au point de vue de l’intelligence, déclare qu’après un examen approfondi, il peut affirmer qu’il jouit de toutes ses facultés mentales et est parfaitement responsable de ses actes.

    Les plaidoieries .

    M. Pécheur demande une punition sévère. Toutefois, eu égard au jeune âge de Marmottin et considérant la peine capitale qu’entraînerait la culpabilité sans circonstances atténuantes, il ne s’oppose pas à ce que ces dernières soient accordées à l’accusé. Me Bouchez plaide l’inconscience et la mononamie. Son client doit être considéré comme irresponsable, et envoyé dans une maison de santé.

    Le verdict

    Le jury, après avoir appelé deux fois M. le président dans la chambre de leurs délibérations, rapporte un verdict affirmatif, avec circonstances atténuantes, verdict qui est entaché d'irrégularité et qu'ils sont obligés d'aller rectifier.
    La Cour condamne M . Marmottin à cinq ans de réclusion et le dispense de la surveillance.

    Conclusions

    Me Bouchez dépose des conclusions demandant acte à la Cour de ce que M. le président a communiqué, à deux reprises différentes, avec les jurés dans leur salle, ce qui, dans son opinion, a pu influencer le vote.
    La Cour, après en avoir délibèré, donne acte au défenseur de ce que M. le président a été deux fois dans la salle des jurés sur leur demande, ajoutant qu’il n’y a pas à donner l'acte sur la seconde partie des conclusions.
    L’audience est levée à 6 heures et demie.

     

    Audience du 5 mai 1885

     

    Affaire CHARLES, Victoire-Josèphe, veuve Rennesson, de Torcy : vols qualifiés. — Ministère public, M. Pécheur, substitut ; défenseur, Me Luxer, avocat.
    A peine une quinzaine de curieux dans la salle, au début de l’audience.
    Il s'agit d’une série de vols commis par la veuve Rennesson, ménagère, au préjudice des personnes qu’elle servait.
    Les pièces à conviction sont des plus nombreuses et des plus variées. Cinq énormes paquets sont ouverts : on y voit des bijoux, du  linge, des boites, des brosses, des livres, des tapis, des étoffes, du fil, de la laine, deux sacs de bouchons, etc., etc.

    L ’accusée.

    L ’accusée est une malheureuse encore fort jeune (elle n’a que vingt-sept ans) et très fraîche. Sa figure est assez sympathique et sa tenue des plus correctes. Elle est vêtue tout en noir et tient dans ses bras un bébé d'un mois. Vu son état, elle subit son interrogatoire assise. Elle pleure constamment.
    Veuve depuis deux ans, elle a entretenu des relations avec un individu qui lui avait promis le mariage. Elle en a eu, le 1er avril dernier, deux jumeaux dont l’un est mort en venant au monde. L’autre est celui qu’elle porte. Elle avoue les vols d’effets, mais nie avoir jamais pris d’argent.
    D’ailleurs, ajoute-t-elle, elle ne sait ce qui la poussait à voler.

    Les faits

    Dans les premiers jours du mois de novembre 1884, l’accusée entra, en qualité de femme de ménage, au service des dames Bonny et Gonnier. Celles-ci ne tardèrent pas à s’apercevoir de la disparition d’un certain nombre d’objets et de diverses sommes d’argent, entre autres deux billets de banque, un de 500 francs, l’autre de 100 fr. et une pièce de 20 fr. en or. Ces diverses sommes étaient renfermées dans un chiffonnier dont la clef restait habituellement dans la serrure.
    Convaincue que l’auteur de ces diverses soustractions ne pouvait être que la veuve Rennesson, Mme Gonnier résolut de la surveiller, et, le 22 janvier dernier, elle se plaça en observation dans une alcôve et surprit l’accusée au moment où elle ouvrait furtivement le chiffonnier. Au milieu de son trouble l’accusée dut faire des aveux, mais bientôt elle se rétracta.
    Des perquisitions opérées dans son domicile et chez ses parents amenèrent la découverte d’un nombre considérable d’objets appartenant aux dames Bonny et Gonnier, tels que bouteilles de vin, liqueurs, linge de toute nature, des provisions de ménage d’une valeur totale d’environ 2,000 fr.
    Ces perquisitions révélèrent en outre que la veuve Rennesson, occupée aussi comme femme de ménage à l’asile de Torcy-Sedan, y avait dérobé des fagots, des livres et du papier et avait commis au préjudice des enfants qui fréquentaient cet établissement de nombreuses soustractions de vêtements et de bijoux. D’autres vols sont aussi reprochés à l’accusée au préjudice des époux Muller qui tiennent à Torcy une boutique d’épicerie et de mercerie.
    La veuve Rennesson n’a pas d’antécédents judiciaires ; sa moralité n’est pas mauvaise.

    Les débats

    Une quinzaine de témoins défilent sans apporter rien de nouveau à ce que l’on sait.
    La tante de l’accusée se trouve mal au moment de faire sa déposition. Enfin elle se remet et éclate en sanglots.
    Après le réquisitoire du ministère public et la plaidoierie de Me Luxer, qui demanda pour sa cliente le bénéfice des circonstances atténuantes, quatre questions sont posées au jury avec les circonstances que la veuve Rennesson était au service des personnes qu’elle volait.
    Les réponses étant affirmatives pour toutes les questions, et le verdict accordant à l’inculpée les circonstances atténuantes, la Cour condamne la veuve Rennesson à 3 années de prison.

     

    Affaire BADRE, Simon Auguste , de Joigny. — Bigamie. — Ministère public : M. Robert, procureur ; — défenseur : Me RAMBOURG, avocat.
    Cette affaire sur laquelle le Petit Ardennais, le jour même de l’arrestation, avait donné, le premier, les détails les plus circonstanciés, attiré un nombre considérable de curieux.
    En effet, la salle est comble avant le commencement des débats et beaucoup de personnes arrivées trop tard, n’ont pu se procurer de places.

    L ’accusé

    Badré est de taille moyenne. Assez maigre il a la figure et les mains osseuses ; cheveux et épaisse moustache noirs. Il est vêtu d’un paletot en coutil bleu, d’un gilet et pantalon noirs. Il exerçait à Joigny la profession de mécanicien.
    Outre une condamnation pour adultère prononcée contre lui, il a subi une peine de six jours d’emprisonnement pour vol.
    Lorsqu’il parle, il tortille nerveusement sa moustache.

    L’acte d’accusation

    L ’accusé s’est marié à Aiglemont, le 7 avril 1866, avec la nommée Marie-Françoise-Adèle Gueury, de laquelle il a eu deux enfants dont l’un vit encore. Les premières années de cette union paraissent avoir été heureuses, mais plus tard Badré, dont le caractère était violent, commença à maltraiter sa femme, qu’il finit par abandonner à la suite d’une condamnation à trois mois de prison pour adultère, prononcée contre lui par le tribunal de Charleville.
    Le 5 juin 1879, sa femme obtint un jugement de séparation de corps en lui laissant la garde de ses enfants. Badré habita ensuite successivement Nouzon et Sedan ; c’est dans cette dernière ville qu’il rencontra Mlle Amélie Huart, veuve Pilard, qu’il demanda bientôt en mariage, se gardant bien de lui révéler sa véritable situation. Les pièces nécessaires à la nouvelle union furent réunies par les soins de la Société Saint-François Régis, de Sedan, avant le jour fixé pour la célébration du mariage.
    L’accusé présenta sa future à quelques membres de sa famille et obtint de sa mère, encore vivante, le consentement nécessaire.
    A la mairie de Sedan, où furent faites les publications, Badré avait pris la qualité de célibataire. Son mariage avec la veuve Amélie Pilard eut lieu le 25 octobre 1884, et dans les premiers jours du mois de janvier suivant, le nouveau ménage s’installa à Joigny où l’irrégularité de la situation de l’accusé ne tarda pas à être découverte. La seconde femme de cet individu est actuellement enceinte.
    Badré reconnaît l’exactitude des faits qui lui sont reprochés, il se borne à prétendre que le rétablissement du divorce lui donnait le droit de se remarier.

    L ’interrogatoire

    L’interrogatoire consiste à savoir comment  l’accusé a pu tromper tout le monde, obtenir le consentement de sa mère et persuader à cette dernière qu’il avait le droit de se remarier.
    Il répond qu’il se croyait autorisé à prendre le titre de célibataire puisqu’il était séparé de corps.

    Les témoins

    Mme Badré, née Marie Gueury, première femme de l’accusé. Elle est petite, assez âgée et dépose avec animation. Elle raconte qu’après quelques mois de tranquillité, son mari, devenu méchant, la maltraitait et lui avait même, un jour, jeté de l’eau bouillante sur la main droite, d’où une brûlure qui l’a fait beaucoup souffrir et dont elle est restée estropiée.
    Elle déclare que lorsqu’elle a appris le second mariage de son époux elle est restée indifférente et a répondu simplement, aux personnes qui le lui annonçaient : « C’est un maladroit. »

    Mme Badré, née Aurélie Huart, veuve Pilard, seconde femme de l’accusé.Elle est âgée de trente ans et beaucoup mieux que la précédente. C’est une solide gaillarde, elle, et à qui l’embonpoint, occasionné par sa grossesse, ne nuit en aucune façon.
    Elle affirme n’avoir jamais entendu parler du premier mariage de Badré. Elle n’a d’ailleurs qu’à se louer de lui.

    Badré, frère de l’accusé, entendu à titre de simple renseignement, dit qu’il a cherché à dissuader son frère de son second mariage, mais que celui-ci lui a répondu « qu’il profitait de la loi. » Alors il ne s’en est plus inquiété.

    Coulon, Pierre, chef de bureau à l’état-civil de Sedan, expose comment s’est effectué le mariage. L'accusé lui a déclaré être célibataire, puis a fourni toutes les pièces nécessaires.

    Mme veuve Robert, maîtresse d’hôtel Torcy. — Déposition peu intéressante.

    Les plaidoieries

    M. Robert, procureur de la République, demande un verdict affirmatif mitigé par des circonstances atténuantes. Me Rambourg demande l’acquittement.

    L ’acquittement

    Les jurés, rapportant un verdict négatif, Badré est acquitté.
    L’audience est levée à 6 h. 1/4.

     

    Audience du 5 mai 1885

    Affaire DAUBRÉ, Henri Joseph, sans domicile : vol qualifié. — Ministère public, M. Pécheur, substitut; défenseur, Riché, avocat.

    L’accusé.

    Daubré est un jeune adolescent, imberbe. Il a les cheveux blonds soigneusement séparés par une raie. Sa mise est correcte. On se souvient l’avoir vu, il y a trois mois, sur le banc où il comparaît encore aujourd’hui. Son séjour à la Maison d’arrêt ne l’a nullement changé.

    Antécédents de l’accusé.

    Belge d’origine, il a laissé dans son pays la plus triste réputation. Il a subi, en Belgique, plusieurs condamnations pour vols. Il a été condamné par le tribunal de Charleville, le 23 juillet 1884, à trois ans de prison pour vol. En novembre suivant, le Parquet le poursuivait une seconde fois. Le 21 janvier 1885, il a subi une nouvelle condamnation à six mois de prison encore pour vol, prononcée par le tribunal de Montmédy. Enfin la Cour d’assises des Ardennes, à sa dernière session, l’a frappé d’une peine de dix ans de travaux forcés pour vol qualifié commis à la ferme de Remonté.

    Les faits

    Dans la matinée du 6 novembre 1884, les époux Joly-Renauld, propriétaires à la ferme de Pargny, écart de Chateau-Porcien, s’aperçurent qu’ils avaient été victimes, pendant la nuit, d’un vol important. Tous les vetements de Mme Joly, et de nombreux vêtements de M. Joly, le tout évalué environ 2,000 fr. avaient disparu d’une armoire non fermée à clef et placée dans une chambre au premier étage.
    Les circonstances dans lesquelles ce vol avait été accompli démontraient que deux malfaiteurs y avaient pris part. Les voleurs sont entrés par une lucarne dans le grenier, de là ils ont pénétré dans les appartements, jeté par la fenêtre les effets qu’ils voulaient voler, et sont sautés dans le jardin.
    Puis après avoir porté le tout dans un fournil au fond du jardin ils l’ont enfermé dans un sac à charbon, et se sont enfuis enlevant leur butin.
    Le complice de Daubré, qui a pu, jusqu’à présent échapper à la justice, se nommerait, dit-il, Pierre Hinnard.

    L’interrogatoire

    Arrêté à Montmédy, lorsqu'il fut soupçonné d’avoir commis le vol chez les époux Joly, l’accusé a commencé par nier d’une façon absolue. Il prétendait n’avoir pas quitté Reims depuis longtemps.
    Mis en présence de plusieurs témoins qui l’auraient vu la veille aux environs de la ferme de Pargny et se trouvant reconnu par eux, Daubré se décide à avouer.
    Il emploie alors pour se justifier un système odieux et que nous croyons devoir passer sous silence.
    A l’audience, d’ailleurs, l’accusé abandonne ce système, et déclare ne s’en être servi que pour égarer la justice. Il avoue simplement les faits qui lui sont reprochés et reconnait l’exactitude des circonstances qui les ont accompagnés.

    Les débats. — La condamnation

    Dès lors les débats n’ont rien d’intéressant, et les deux plaidoieries sont fort courtes. Me Riché demande l’admission des circonstances atténuantes.
    Les jurés, après cinq minutes de délibération, rapportent un verdict affirmatif sur toutes les questions et muet sur les circonstances atténuantes.
    En conséquence, Daubré est condamné à quinze ans de travaux forcés, peine qui se confondra avec celle de dix ans, prononcée il y a trois mois, et à vingt ans de surveillance.

     

     

    Affaire DORIGNY, Antoine-Auguste, de St-Menges. — Tentative d’assassinat.— Ministère public, M. Robert, procureur ; défenseur, Me Riché, avocat.
    Cette affaire est la dernière de la session. Le public est assez nombreux.

    L ’accusé

    Dorigny est d’assez grande taille. Sa mise, qui est celle d’un ouvrier est fort convenable. Il a une figure assez énergique, il est brun et porte le fer-à-cheval. Il répond d’une façon des plus calmes aux questions qui lui sont posées pendant son interrogatoire. 
    Il passe pour un contrebandier incorrigible et redouté des agents et a déjà subi plusieurs condamnations correctionnelles pour des faits de brutalité.

    La cause du crime

    Dans les derniers temps de l’année 1884, Dorigny, qui tenait un débit de boisson à Sedan, abandonna sans ressources sa femme et ses cinq enfants et se rendit à Paris, puis en Belgique. Sa femme ne tarda pas à nouer des relations adultères avec un militaire de la garnison, le sieur Questroy qui prenait pension chez elle.
    Lorsque celui-ci fut libéré du service, elle le suivit dans le Pas-de-Calais, après avoir vendu le mobilier du ménage et même les effets personnels de son mari.
    Revenus à Sedan, Questroy et la femme Dorigny, louaient le 24 janvier dernier, à Cazal-Floing, un logement dans lequel ils continuèrent à vivre maritalement. Cependant l’accusé était revenu de son côté le 29 janvier. Il rencontra sa femme et chercha à obtenir d’elle une réconciliation. Celle-ci promit de rentrer avec lui le lendemain à midi.
    Mais Dorigny, pour qui l’existence de Questroy était une gêne et un danger futur, avait résolu de donner la mort à ce dernier.

    Le crime

    Vers deux heures de l’après-midi. Dorigny se rendit chez les époux Petit, aubergistes à Saint-Menges, pour leur emprunter de l’argent afin d’acheter une arme et des cartouches et profitant de l’inattention de la dame Petit, il s’empara d’un revolver placé à sa portée et alla acheter des cartouches.
    Le lendemain, à huit heures et demie du matin, accompagné du garde-champêtre, il se rendit à Cazal-Floing pour réclamer à Questroy, le mobilier qu’il prétendait être le sien.
    Alors se passa la scène que le Petit Ardennais a racontée aussitôt dans tous ses détails et que nous allons résumer autant que possible.
    A la vue de son rival et sur une réponse évasive de ce dernier, Dorigny sortit son revolver de sa poche et presqu’à bout portant fit feu sur Questroy. La balle, qui pénétra profondément dans les chairs de la joue droite, ne pourra jamais être extraite.
    La victime, dont l’incapacité de travail n’a duré que quinze jours, est aujourd’hui rétablie.

    L ’interrogatoire

    Singulier interrogatoire en vérité. D’ailleurs, tout comme dans les affaires précédentes, on croirait certes se trouver devant M. le juge d’instruction plutôt que devant le jury et la Cour.
    Enfin disons que Dorigny, comme ceux qui l’ont précédé sur le banc des accusés durant cette session, peut à peine répondre quelques mots, et passons.

    Les témoins

    M. le docteur Pelletier a examiné la blessure et en fait la description. Elle n’était pas d’une gravité bien sérieuse.
    Mme Dorigny, femme de l'accusé, ne prête pas serment. Elle porte sur le bras une charmante fillette de trois ans environ. Son entrée provoque des sanglots de la part de Dorigny.
    Le témoin déclare que la misère seule l’a poussée à nouer des relations avec Questroy. Son mari, dit-elle, ignorait ces faits.
    C’est, d’ailleurs, une vilaine mégère qui apostrophe le malheureux inculpé et le charge le plus possible.
    Questroy, la victime. — Il s’avance militairement et se place derrière la chaise où il doit prêter serment dans la position la plus correcte du soldat sans armes. Il est absolument guéri et ne porte de sa blessure qu’une trace fort légère.
    Il reconnaît l’existence de ses relations avec la femme Dorigny et raconte la scène du crime telle qu’on la connaît déjà.
    Il avoue qu’il a été condamné à trois mois de prison pour adultère en même temps que Ia femme Dorigny pour quatre mois. Il a eu aussi, dans le Nord, une condamnation à huit mois pour vol.
    Le beau-père de Dorigny raconte la scène du crime. Il constate qu’il a fait son possible pour rapprocher les deux époux, que Dorigny était consentant, mais que sa fille a refusé.
    Alexis Poupard, garde-champêtre à Floing. Il raconte aussi la scène du crime.
    Mme Petit, chez qui Dorigny a dérobé un revolver, déclare qu’il l'a pris pendant qu’elle ne le regardait pas.
    Les trois dernières dépositions n’ont aucune importance.

    Question subsidiaire.

    La liste des témoins épuisée, M. le président avertit le défenseur qu’il posera aux jurés la question subsidiaire de coups et blessures.

    Le réquisitoire et la défense

    M. Robert se basant sur ce principe que « nul ne doit se faire justice à soi-même », et étant donnée la question subsidiaire qui permettra d’abaisser considérablement la peine, demande une condamnation.
    Me Riché plaide l’acquittement. Il se base sur des lettres écrites par la femme Dorigny à son mari. Tous ses arguments sont absolument convaincants.

    L ’acquittement

    Le verdict est négatif sur la question principale et sur la question subsidiàire. Dorigny est acquitté et M. le président ordonne sa mise en liberté immédiate.

     

    Contumace

    Stefanezzi, Marcello-Vincenzo, de Marcq, inculpé de meurtre et tentative de meurtre, est condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité.
    La session est close à sept heures moins un quart.


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