• Mai

    Un livre patriotique. — Nous nous faisons un plaisir de recommander à nos lecteurs un volume de poésies. Coqs et Vautours, dû à la plume élégante et patriotique d’un véritable poète, M. Charles Colas. Cette œuvre qui sera appréciée surtout dans nos Ardennes si malheureusement éprouvées par la funeste guerre de 1870, vient d'être publiée à Paris, chez Auguste Ghio, éditeur, galerie d’Orléans, au Palais-Royal.
    Rien n’est plus saisissant, et rien ne saurait mieux entretenir chez nous le désir inoubliable d'une revendication juste et d'une glorieuse revanche.

    VICTOR HUGO SE MEURT.Notre correspondant particulier nous télégraphie : Paris, 18 mai, 9.h15 s. VICTOR HUGO SE MEURT. On ne s’occupe dans les couloirs que de Victor Hugo qui est à toutes extrémités.
    M. Lockroy, à son arrivée est très entouré ; députés et journalistes demandent anxieusement des nouvelles. M. Lockroy répond assez évasivement, mais il est facile de voir, à l’embarras qu’il éprouve, qu’il n’y a plus d’espoir.
    MM. Floquet, Freycinet, Brisson et une foule de notabilités de la politique, de la littérature, des services et des arts vont chex M. Hugo aux renseignements. M. Pelletau dit que ce n’est plus qu’une question d’heures.
    Le visage de l’illustre malade est déjà décomposé. Victor Hugo ne respire qu’avec une difficulté extrême. On attend de minute en minute le dénouement fatal.
    On est absolument consterné.
    On parle du lever la séance de la Chambre en signe de deuil, si la nouvelle de la mort était annoncée officiellement.
    Les premières atteintes. — C’est jeudi dans la nuit, que Victor Hugo a ressenti les premières atteintes du mal qui vient de le frapper.
    Suivant l’habitude, le poète avait reçu, ce jour-là comme tous les jeudis. Le dîner avait été donné en l’honneur de M. de Lesseps et de ses enfants.
    Victor Hugo s’était montré très enjoué et très animé. Toutefois on croit se souvenir d’une légère pâleur inusitée paraissant sur son visage.
    La réception prit fin vers onze heures. Dans le courant de la nuit, Victor Hugo se sentit gravement indisposé. On constata qu’il y avait ralentissement dans les mouvements du cœur.
    Les premiers soins. — Le docteur Allix, prévenu par la famille, accourut aussitôt et donna les premiers soins, l’indisposition parut s’atténuer.
    La journée de vendredi se passa sans incident notable. Victor Hugo, en proie à une grande fatigue, dut garder le lit.
    Congestion pulmonaire. — L’état s’aggravant dans la soirée, on décida de recourir à l’intervention du docteur Germain Sée, médecin et ami de la famille. C’est samedi matin que le docteur Sée fit sa première visite et il reconnut tous les symptômes d’une congestion pulmonaire.
    Depuis, il y a trois consultations par jour et ce soir, le docteur Vulpain doit, à six heures, se joindre à son confrère, M. Germain Sée.
    Victor Hugo toujours Iucide. — Le poète a conservé sa parfaite liberté d’esprit ; il s’exprime nettement sur son état, dont il ne se dissimule pas la gravité. Il le constate Iui-même dans les entretiens qu’il a avec les siens. Personne n’est admis auprès de lui. 
    Il n’a au chevet de son lit que ses deux petits-enfants, Jeanne et Georges Hugo; M. et Mme Lockroy et deux ou trois amis dévoués, MM. Auguste Vacquerie et Paul Meurice.

    Anniversaire de Michelet. — A l’occasion de l’anniversaire de Michelet, une manifestation avait été organisée hier par les étudiants, qui sont venus sur la tombe de l’illustre historien, au cimetière Montparnasse, déposer une magnifique couronne de violettes au pied du monument. Mme Michelet assistait à cette touchante cérémonie.

    VICTOR HUGO SE MEURT. — Notre correspondant particulier nous télégraphie : Paris, 19 mai, 9.h15 s.
    Au Palais-Bourbon, sur les boulevards,dans les cafés, partout, enfin, on ne cause que de la maladie de Victor Hugo. Le grand poète a tenu, et occupe encore, une telle place parmi nous qu’il est naturel que la nouvelle de l’imminence de sa mort remue et passionne tout le monde.
    Etat désespéré. — Disons-le de suite, Victor Hugo est toujours dans un état désespéré. Les médecins ne comptent plus guère que sur le hasard pour opérer un miracle, et puis l'auteur de la Légende des Siècles possède un tempérament si vigoureux qu’il faut s’attendre à tout avec une aussi robuste nature. Mais il serait bien extraordinaire que les quatre-vingt-trois années de Victor Hugo, eussent la force de triompher du mal.
    Bulletin sanitaire. — La nuit a été mauvaise. Voici le bulletin des médecins. A la suite d’une violente oppression il s’est manifesté cette nuit une syncope prolongée. Ce matin l’état des forces et de la respiration est à peu près la même qu’hîer soir. A. VULPIAN, GERMAIN SÉE, DR ALIX.
    Mardi, 9 heures, matin, Victor Hugo a eu le délire cette nuit, il a même dit un vers fort beau dans son délire, le voici : C'est ici le combat du jour et de la nuit.
    Victor Hugo s’est évanoui, ce matin, à la suite d’un violent étouffement. Tous ceux qui l’entouraient ont cru que ses derniers moments étaient arrivés. Cependant l’illustre malade est revenu à lui peu à peu et une période de calme a succédé à la crise. Il a dit aux personnes qui l’entouraient : « Qu'on a donc de peine à mourir, j'étais cependant tout prêt ! »
    Il s’est endormi profondément vers midi et a reposé quelque peu.
    Le malade respire avec une très grande difficulté.
    Il a pu prendre un bouillon vers trois heures.
    Victor Hugo est très changé. La figure est jaune d’ivoire, amaigrie ; la barbe est allongée et le corps décharné.
    Les ministres chez Victor Hugo . — Ce matin, à l’issue du Conseil des ministres, MM. Henri Brisson, de Freycinet, Allain-Targé, René Goblet et Pierre Legrand se sont rendus séparément chez Victor Hugo. Le président de la République et le ministre des affaires etrangères avaient déjà fait prendre dans la matinée des nouvelles de l’illustre malade.
    Les ministres ont été reçu par M. Edouard Lockroy qui leur a dit que Victor Hugo avait éprouvé, dans la nuit, une longue syncope et qu’un dénouement fatal était à craindre.
    Chez Victor Hugo. — Tout ce qui porte un nom dans la littérature, dans les sciences, dans les arts et dans la politique va aux nouvelles au domicile de Victor Hugo ; il y a beaucoup de monde séjournant devant la maison du poète. Les voitures ne vont qu’au pas.
    On redoute une issue fatale pour cette nuit.

    La Santé de Victor Hugo. — Victor Hugo a passé une très mauvaise nuit: il y a eu des alternatives d’état comateux avec ralentissement considérable du pouls, et ensuite d’état fébrile avec surexcitation marquée. Pour atténuer les souffrances du malade, on a dû recourir à des piqûres de morphine.
    Entre onze heures et midi, a eu lieu une consultation à la suite de laquelle les médecins ont rédigé le bulletin suivant :
    20 mai, midi.
    « La nuit a été assez agitée et troublée par deux accès d’oppression. Ce matin, on constate un certain degré d’engorgement pulmonaire du côté droit.
    » VULPIAN, SÉE, ALLIX ».
    Une nouvelle piqûre de morphine a été faite cette après-midi au malade auquel ou a ensuite fait boire une cuillerée de quinquina mélangée de noix vomique.
    Cette absorption a déterminé un mouvement brusque chez Victor Hugo qui s’est ensuite pelotonné dans ses oreillers et est tombé, quelques minutes après, dans un assoupissement profond qui pourra, pense-t-on, durer quelques heures.

    Maladie de Victor Hugo. — L’état de Victor Hugo ne s’est malheureusement pas modifié ; il s’est encore aggravé, si possible. L’illustre malade a passé une très mauvaise nuit. On est obligé, comme hier, pour adoucir sa souffrance, de lui faire de fréquentes piqûres de morphine.
    Accès de délire. — Il a des accès de délire qui donnent, à tous instants, les plus grandes inquiétudes aux personnes qui veillent pieusement à son chevet. La respiration est difficile et le malade a de grosses oppressions et des moments de grande agitation. Bulletin sanitaire. — Voici le bulletin de ce matin [22] :
    « La nuit a été tranquille sauf quelques instants d’oppression et de grande agitation. En ce moment la respiration est assez calme. Les fonctions intellectuelles sont intactes. Situation inquiétante.
    » Le 21 mai 1885, 9 h. du matin.
    » A. VULPIAN, Germain SÉE, Dr ALLIX .
    Au chevet du malade. — Aujourd’hui, à onze heures du matin, Victor Hugo sommeillait, le docteur Allix qui ne s’était pas couché depuis trois jours et trois nuits a pris quelques heures de repos pendant lesquelles il a été remplacé au chevet du malade par M. Naquet, sénateur, qui, comme on le sait, est docteur en médecine.
    Passera-t-il la nuit? — En réalité, on attend l’issue fatale d’une minute à l’autre. C’est grâce à sa vigoureuse constitution que Victor Hugo peut ainsi faire face à la maladie. Les médecins disent qu’il ne passera pas la nuit.
    Commencement de l’agonie. — Victor Hugo a pu prendre ce matin quelques cuillerées de potion. Le poète, absolument silencieux depuis hier, reconnaît néanmoins, toutes les personnes qui s'approchent de son chevet et leur témoigne son affection par une pression des mains ; c’est l’agonie, une agonie relativement douce.
    A une heure, Victor Hugo a eu une syncope très violente qui a jeté la famille et ses amis dans la consternation. Les médecins n’ont pas communiqué de bulletin cette après-midi.
    Visites chez Victor Hugo. — Le général Pittié s’est rendu à dix heures du matin chez Victor Hugo pour prendre des nouvelles de l’illustre malade au nom du président de la République. Toutes les notabilités de la littérature, de la politique, de la science et des arts continuent d’aller s'inscrire sur le registre placé dans le vestibule du petit hôtel que Victor Hugo occupe, 50, avenue Victor Hugo.
    Une foule nombreuse, sans cesse renouvelée et dans laquelle on voit beaucoup d’ouvriers, stationne dans une attitude respectueuse et discrète sur le trottoir qui fait vis à vis à la maison. La maladie de Victor Hugo frappe le peuple au cœur et émeut tout le monde.
    Le malade. Nouvelle syncope. — A deux heures, Victor Hugo est dans un assoupissement profond. L’état s’est aggravé considérablement et l’on redoute l’issue fatale pour la journée. A onze heures, Victor Hugo a absorbé quelques cuillérées de potage et a bu un verre de zucco.
    Aux questions qu’on lui pose le malade ne répond plus que par des monosyllabes. De demi-heure en demi-heure on lui fait une piqûre de morphine. A une heure et demie, Victor Hugo a été pris d’une syncope très grave qui a duré une demi-heure, mais qui ne lui a pas enlevé la lucidité de son esprit.

    Lettres d’un Passant. — A Monsieur le Rédacteur du Petit Ardennais.
    On ne s’occupe que de la maladie de Victor Hugo.
    Artistes, littérateurs, politiciens, bourgeois, ouvriers, gens du monde, oisifs, tout le monde, toutes les classes de la société ont les yeux tournés vers la petite maison de l’avenue Victor Hugo, où l’auteur de la Légende des Siècles livre à la mort un combat de Titan.
    Les Burgraves du Rhin ne faisaient pas plus courageusement face au danger que ce vieillard de 83 ans.
    Les haines qui ont poursuivi si longtemps le grand poète, les dissentiments, les rancunes, se sont effacés subitement à la nouvelle de la grave indisposition d’Hugo.
    C’est que chacun l’aime, l’illustre poète, c’est qu’en voyant ce vaillant menacé par l’horrible mort, nous nous sentons menacés dans nos plus chères affections.
    Pour tous c’est le père, celui qui a noté dans des vers immortels les premiers gazouillements du jeune âge et entonné le plus sublime chant d’amour en l’honneur de l’enfance.
    L ’histoire raconte que la France entière pleura jadis lorsqu’elle apprit la maladie de Louis XV — de crapuleuse mémoire. Combien plus nous comprenons la douleur du pays pour Hugo. Que reste-il de Louis XV ? Rien, sinon le souvenir des orgies du Parc-au-Cerf, les mots de l’immonde Dubarry et le surnom de La France donné au royal débauché par des filles de joie.
    Avait-il fait quelque chose pour améliorer le sort de son peuple, ce monarque auquel la foule dans sa bonté naïve faisait l’aumône de ses larmes ?
    Non. Il ne songeait qu’à ses plaisirs. Du pays, il n’avait souci.
    Le malheur le trouvait indifférent. Que lui faisait l’humanité ?
    Pourquoi vraiment se mettre l’esprit à l’envers pour de semblables billevesées? S’amuser, tel était le but de la vie de ce roi ignoble entre les plus ignobles.
    Et cependant le peuple pleura.
    Examinez au contraire la vie de Victor Hugo.
    L’esprit du poète est sans cesse hanté par les problèmes sociaux les plus hauts.
    Le sort du pauvre, des petits préoccupe ce vaste génie. L’amour de l’humanité envahit son âme comme elle absorbe son oeuvre.
    Lisez les Misérables et dites-nous s’il est possible de faire un plaidoyer plus éloquent en faveur du relèvement du coupable.
    Dans mille ans, l’œuvre du poète passionnera encore le monde et personne ne se souviendra du nommé Louis XV, si ce n’est pour le flétrir.
    Aujourd’hui, nous n’avons plus de roi; mais la démocratie s’incline devant l’aristocratie de l’intelligence et devant la royauté du génie.
    Ce nous est une consolation de voir cette douleur générale au sujet de la maladie de Victor Hugo.
    Ce n’est plus un roi de naissance que la foule pleure ; c’est un roi de la pensée.
    UN PASSANT.

    Académie Mont-Réal de Toulouse. — Grand concours international, 1885. — Le Concours annuel, organisé par l’Académie Mont-Réal, sera ouvert — pour toute l'Europe — à dater du 1er mai 1885 et clos le 1er septembre de la même année. — 1ère Section : Poésie, sujet imposé, de cent vers au plus : Ode à André Chénier. — 2e Section : Poésie, sujet libre, de quarante vers au plus. — 3e Section : Prose, sujet imposé, de deux cents lignes au plus : Eloge de Racine. — 4e Section : Prose, sujet libre, Nouvelle de cent cinquante lignes au plus
    Il sera décerné, dans les quatre sections ci-dessus, un nombre d’environ trente prix, douze accessits et cent mentions de 1ère, 2e, et 3e classe, avec diplôme spécial. 
    Conditions du Concours. — Envoyer avant le 30 août 1885, les manuscrits, très lisiblement écrits sur le recto de chaque page, à M. Albert Mailhe, président fondateur, 12, place Rouaix, à Toulouse (Haute-Garonne), France. Joindre aux manuscrits ; 1° un pli cacheté renfermant le nom de l’auteur et portant à l’extérieur une devise reproduite en têtoe du sujet ; 2° un numéro désignant la section dans laquelle l’envoyeur désire concourir, et 3° un franc en timbres-poste, pour droit d'inscription. 
    Les membres titulaires de 1re classe et correspondants de l’Académie sont affranchis de ce droit. — Toutes pièces renfermant des allusions politiques ou religieuses seront rigoureusement exclues des concours. — La distribution solennelle des récompenses est fixée au 1er novembre 1885. — Un avis antérieur fera connaître aux intéressés le résultat de ce Concours et leur situation vis-à-vis de l’Académie. Des récompenses particulières seront accordées à MM . les correspondants de l’Académie qui se seront le plus signalés dans la propagation du présent programme. 
    Pour tous les renseignements s’adresser à M. Paul Mottin, à Mézières.

    MM. Lucien Pérey et Gaston Maugras continuent, avec la Vie intime de Voltaire, la série de publications, si riches en révélations piquantes et en détails intéressants, qu’ils ont consacrées à la fin du dix-huitième siècle. Le patriarche de Ferney est ici pris sur le vif, au milieu de ses familiers et des nombreux personnages de marque, qui profitent successivement de son hospitalité fastueuse. Les auteurs, d’ailleurs, selon leur système habituel, laissent parler les faits, les anecdotes et surtout les documents qu’ils ont le bonheur de mettre au jour, en les disposant seulement avec un art accompli et en les accompagnant d’un commentaire discret et impartial. —M. CALMANN-LÉVY, éditeur, Paris.

    Juillet

    Les Contes patriotiques, de Joseph Montet, l'un de nos meilleurs et plus sympathiques chroniqueurs parisiens, viennent de paraître chez les éditeurs Marpon et Flammarion. Ils forment un petit volume, gros de patriotisme, illustré par nos meilleurs artistes, et qui, bientôt, nous le croyons, se trouvera dans les mains do ceux qui, en France, pensent toujours à nos provinces enlevées.

    LE MONUMENT DE VICTOR HUGO . — Il y a quelques semaines, la mort de notre grand poète national Victor Hugo, réunissait toute la France dans un même sentiment d’admiration, de reconnaissance et de regrets. Le souvenir du 1“ juin 1885 ne s’effacera pas : mais on a pensé qu’il serait bon de lui donner un signe visible qui parle à nos cœurs comme à la mémoire des générations futures. Aussi un Comité s’est-il formé en vue d’élever à Victor Hugo un monument qui consacrera la date de ses obsèques. Ce Comité fait appel au concours du Petit Ardennais. Nous acceptons volontiers de l’aider dans cette œuvre nationale.Nous recueillerons avec plaisir toutes les souscriptions qui nous seront adressées pour le monument de Victor Hugo, et nous las transmettrons au comité du monument dont le siège est à Paris, rue Chauchat, 24.


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