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[Fête nationale pour les Ardennais] 1885
C’est avec le plus vif plaisir que les républicains ardennais connurent la prise de la Bastille. L ’écho de cette joie patriotique est arrivé jusqu’à nous par de nombreuses chansons faites au lendemain de cet événement mémorable et qu’a bien voulu nous signaler l’obligeant et savant archiviste des Ardennes, M. Sénémaud.
Nous en choisissons une que nos lecteurs, et surtout nos lectrices, seront curieuses de retrouver ici. Qui donc prétendait que les Ardennaises n’étaient pas de bonnes républicaines ?LE REGIMENT DES ARDENNAISES
Allons, vite ! ma chère amie
Il nous faut partir bien vite
Pour soutenir noire patrie.
Mon amant est bien ravi :
Il faut deux cent mille filles,
On fera choix des plus gentilles.
On veut de bonnes patriotes
On ne veut pas de ces bigotes,
Car, si elles entendaient le canon,
Elles courraient vite au sermon.
On a choisi pour gros major,
Entre toutes ces jeunes filles.
La tendre, la belle Éléonore :
Elle est douce est gentille ;
Mais, pour notre capitaine,
Nous prendrons la belle Héléne.
Courons vite, ma chère amie,
Nous mettre dans la compagnie.
Nous aurons des mousquetons.
Des gibernes, aussi des sabres.
Beaucoup de munitions
Pour tuer les aristocrates
Et aussi tous les émigrés
Qui, de ta France, se sont sauvés.
Ils seront guillotinés.
Nous aurons pour clarinettes
Babet, Suzette et Jeannette ;
Madelon jouera du basson
Catherinette jouera de la trompette ;
Thérèse battra la grosse caisse !
Notre musique sera complète.
Nous marcherons à grands pas
En chantant : Ça ira ! ça ira !
Au revoir, papa, maman !
Voilà le tambour qui m’appelle :
Puisque je suis sergent
Il faut que je fasse l’appel.
— Ecris-nous, ma chère enfant;
Envoie-nous de tes nouvelles.
Ton papa est réjoui
Que tu défends la patrie.
Marie, ton sac est rempli :
Vole bien vite à la victoire !
J’y ai mis tous tes étuis,
Tes chemises et tes mouchoirs.
Tiens voilà un bon jambon.
Pour quand tu te mettras en route;
Tu boiras dans ton flacon
Et tu crieras : Viva la nation !
Nous n’avons pas d’engagement.
Nous sommes toutes braves et volontaires,
Nous quittons tous nos amants
Jusqu’à la fin de la guerre ;
Et puis nous nous marierons,
Après avoir fait des conquêtes
Avec de bons garçons.
Des citoyens de la nation.
Charleville (1790).LA FÊTE DE LA REPUBLIQUE
Que l'on ait été à la ville ou à la campagne, à Paris ou dans une modeste bourgade, il a suffi d’ouvrir les yeux pour constater que la fête du 14 Juillet était entrée dans les mœurs du pays.
Les fenêtres spontanément pavoisées, Ies drapeaux flottant au vent, l’aspect des physionomies, tout indiquait qu’il s’agissait bien d’une fête nationale, acceptée de l’immense majorité des citoyens.
Vous souvient-il de la fête du 15 août, sous l’empire ?
Seuls les monuments publics étaient pavoisés et illuminés ; seul le monde officiel se mettait en mouvement.
C ’était la fête des souverains, et jusqu’à un certain point, celle des fonctionnaires ; encore les malheureux fonctionnaires étaient-ils contraints et forcés d’endosser l’uniforme ; ce n’était pas la fête du peuple. Il regardait passer les fonctionnaires, il allait voir tirer le feu d’artifice; les chandelles romaines montant dans le ciel jusqu’aux étoiles amusaient comme tout spectacle peu coûteux ; il n’était pas de la fête.
Au jourd ’hui, au contraire, le monde officiel pourrait s ’abstenir que, dans cette invraisemblable hypothèse, le 14 Juillet n’offrirait ni moins d’entrain ni moins d’éclat.
Ce sont des particuliers, des quartiers, des habitants d’une rue qui se sont chargés de la décoration de leurs maisons; chaque arrondissement a organisé sa fête locale, des bals, des illuminations; c’est par des souscriptions privées recueillies de porte en porte que chaque quartier a fait sa toilette nationale, s’est paré de fleurs et d’oriflammes et s’est diverti.
Les citoyens ne sont plus les spectateurs d'une fête donnée par d’autres ; ils s’amusent pour leur propre compte et à leurs frais.
Qu’est cela, sinon une Fête nationale.
La célébration de l’anniversaire du 14 Juillet est si bien entrée dans nos mœurs que vouloir l’effacer serait la plus téméraire des
entreprises et la plus vains.
Il en est de cette fête comme du suffrage universel et comme de la République, ou plutôt ces trois choses n’en font qu’une.
Il ne faudrait, pour les supprimer, qu’une Révolution aussi radicale qu'impossible.
Est-ce que les (???) monarchiques auraient la faiblesse de croire que le pays les laisseraient faire cette révolution à la veille du centenaire de 1789 qu’il s'apprête à célébrer avec une reconnaissance enthousiaste ?
Les gens qui boudent la Fête nationale, les partis qui ont ouvert contre la République une campagne électorale ardente ne doivent se faire aucune illusion sur l’issue de leur entreprise.
Les réjouissances populaires du 14 Juillet n'ont pas exclus les préoccupations de la bataille qui va se livrer dans quelques semaines. Elles ont été, au contraire, une occasion, pour les républicains, de se voir et de se concerter. Les souvenirs que rappelle la date du 14 Juillet ont été, pour la France démocratique, un stimulant pour la lutte en même temps qu ’un gage certain de la victoire.
Car ce n’est pas quatre-vingt-seize ans après avoir pris la Bastille que le peuple laissera M. le comte de Paris ou un Napoléon la relever sous un autre nom.1785-1885
Un de nos abonnés de la campagne nous adresse cette lettre que nous recommandons à tous les paysans et à tous les petits cultivateurs : « Aujourd ’hui, me voilà tranquille, libre de travailler, d’aller, de venir, à la veille d’exercer mes droits électoraux, en possession de tous mes droits de citoyen et quelque peu fier d ’avoir voix au chapitre, si petit que je sois, je pense à ce petit carré de papier, le bulletin de vote, qui me fait maître de mes destinées et de celles de la Patrie ; je sais que nul n’a le droit de me molester et que je suis défendu par la loi que mes mandataires ont faite ; bref, je me sens dans la plénitude de mon droit social...
» Et je me demande ce que j ’aurais été, il y a cent ans, moi qui ne suis pas noble et dont les ancêtres ont négligé d’aller aux croisades. II y a cent ans, pour un pauvre bavardage qui aurait déplu au Pouvoir ou à une gueuse comme la Pompadour, on m’aurait fourré à la Bastille sans jugement. Car le bon Louis XVI , en 1786, délivrait encore des lettres de cachet.
» II y a cent ans, je n’aurais pas été sûr de trouver du pain chez le boulanger, car tous les grands seigneurs, à commencer par le roi, accaparaient les blés pour affamer le peuple et réaliser de gros bénéfices, tandis que le Parlement déclarait que le peuple est taillable et corvéable à merci.
» II y a cent ans, si j ’avais été accusé d’un crime, fût-il imaginaire, j ’aurais été étendu sur un chevalet ou suspendu à l’estrapade :car il n’est pas vrai que Louis XVI avait aboli la torture. Il avait au contraire maintenu la question préalable, contre l’avis de Malesherbes.
» Il y a cent ans, ma conscience n’eût pas été libre, et si j ’avais été protestant et que j ’eusse eu des velléités de voyage, hors de France, l'édit de juillet 1786 me l’aurait interdit sous peine de confiscation de corps et de biens.
» Si j ’avais eu dix francs de rente, j ’aurais entendu résonner à mon oreille cette parole de Dubois qui avait dit « La monarchie fait banqueroute quand elle le veut ! » ou cette autre du doux Louis XVI, au moment où il faisait un cadeau de cinq cent mille livres à la Polignac : « C’est légal , parce que je le veux !
» J’aurais été traité du haut en bas par les calotins qui n’entendaient pas « être avilis et réduits à la condition des autres sujets du roi », ou bien roué et pendu comme le chevalier de la Barre, un enfant de dix-sept ans qu’on tortura et qu’on tua pour avoir ri au nez d’un crucifix.
» Si j ’avais élé militaire, je n’aurais pu devenir officier, n’étant pas noble.
» Partout l’arbitraire, partout la négation de la dignité humaine, en 1785.
» Tandis qu’aujourd'hui, en 1885, partout la liberté, ou du moins partout un acheminement à la pleine et entière liberté surtout si nous choisissons des représentants vraiment républicains.
» Tandis qu’aujourd’hui, en 1885, le peuple a été mis en possession de ses droits qu'il exerce pacifiquement mais énergiquement, un bulletin de vote à la main, assurant la prospérité et la sécurité de la France républicaine ! »Le 14 Juillet. — Nous recevons, trop tard [27 juillet] pour les insérer, un grand nombre de communications au sujet de l’éclat avec lequel la féte nationale a été célébrée dans différentes communes de notre département. Constatons encore une fois avant de terminer, que partout, pour ainsi dire, dans les Ardennes, les idées républïcaines vont toujours en progressant puisque la fête de la République a été plus brillante que les années précédentes.
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